Portrait de l’artiste

Emmanuel Jonquière

« Dans la lignée du Bauhaus, Emmanuel avait une conception fonctionnelle et continue de l’art. Cela allait du dessin d’une petite cuiller à celui d’un quartier d’habitation. L’esthétique devait apporter équilibre, harmonie, tout en répondant aux besoins d’une société de plus en plus urbanisée. Il plaidait pour une planification urbaine remettant le bienêtre des habitants, et non le profit, au cœur du projet. Grand admirateur de Cézanne, Emmanuel recherchait  dans la nature une géométrie de formes où déposer ses couleurs. Dans tous les endroits où il séjournait, il aimait planter son chevalet en plein air pour saisir à l’aquarelle le ciel, la mosaïque des champs, celle des toits, les verticales des clochers, des arbres. Au-delà des vibrations de la lumière, il retrouvait la solidité, la constance et l’agencement des formes. C’était là son travail, son métier.
Il était toujours passionnant de discuter avec lui, une passion qu’il sut transmettre à ses étudiants, à tous ceux qui l’entourèrent ».

Annick Ferré, historienne de l’art, nièce.

La pratique picturale

Il reçoit à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs un enseignement encore  académique, influencé par son maître d’atelier, le peintre Gromaire. L’activité artistique n’est pour lui ni un moyen d’expression ni une transmission émotionnelle, c’est un véritable travail, une recherche permanente. Il a besoin du réel pour créer : il traduit le visible par la stylisation, la schématisation des formes et l’interprète sans jamais tomber dans l’abstraction. Il aboutit à l’essentiel en se débarrassant des détails inutiles.

Il s’inspire de la stylisation des formes et la fragmentation de l’espace de Cézanne son maître favori, de la juxtaposition des couleurs complémentaires et la schématisation les formes de Seurat, de l’exaltation de la nature morte de Morandi, de la force informelle de N. de Staël, de la poésie des ciels de Boudin, de la géométrie colorée de Delaunay, mais aussi de l’abstraction géométrique de Vasarely ou le rythme pictural de Klee et de Mondrian.  Il est réticent à la peinture trop anecdotique ou imitative, à l’abstraction spontanée ou lyrique et rejette farouchement l’art contemporain, les installations et les créations numériques.

Il refuse les expositions et les mondanités par goût de modestie, toujours insatisfait de ne pas avoir abouti ses recherches et ne pas avoir atteint ses objectifs, humble devant son propre travail qu’il considère comme une véritable besogne. Patient et concentré sur son travail, il peut passer des journées entières dans son atelier à parfaire et perfectionner ses toiles.

Il trouve sa source d’inspiration dans le paysage, la nature ou des objets du monde réel, les dessins et les aquarelles sont souvent réalisés en plein air. Les masses générales sont ébauchées rapidement par les premières touches, les couleurs, les ombres et les lumières retravaillés par la suite.  Il rend visible une réalité terrestre qu’il n’a pas pour vocation de reproduire. Il observe, décode et traduit à sa manière sa vision des lieux et des choses, sans jamais les imiter.

Aquarelle

Technique picturale qu’il manie avec dextérité

Emmanuel privilégie la technique de l’aquarelle lors de ses déplacements ou voyages car le temps de séchage est plus rapide. Les touches d’aquarelle sont posées délicatement en larges aplats directement sur le papier, sans dessin préalable.

En se superposant, les couleurs s’affirment et prennent de la profondeur. L’évolution de la lumière se traduit par la transparence translucide du papier quelquefois laissé délibérément vierge. Les paysages sont saisis au plus près du motif mais interprétés librement. Le geste est libéré mais toujours maîtrisé, la composition reste structurée et précise.

Peinture à l’huile

Exploration minutieuse

Il élabore les peintures à l’huile en atelier, elles sont souvent mises en chantier à partir des notes prises dans ses carnets de croquis ou inspirées des aquarelles. Elles demandent une préparation et une mise en forme minutieuses : agrandissement au carreau, esquisse préalable, ébauche de premières touches de couleurs, superposition de plusieurs couches de peinture à l’huile ensuite. Dans le cas de petites touches divisionnistes posées patiemment,  juxtaposées ou superposées, la mise au point chromatique est plus élaborée, la texture et les empattements plus épais. Les points s’agglomèrent en formant de larges surfaces géométriques : les masses générales sont stylisées. La toile finalisée est librement interprétée et souvent transformée par rapport à l’ouvrage initial. La peinture à l’huile lui permet également de proposer différentes versions d’un même thème ; on retrouve des séries de natures mortes reprenant les mêmes objets ou des paysages reprenant des motifs similaires mais travaillés dans des techniques picturales différentes.

DESSIN

Le paysage naturel ou le bâti, la nature morte et l’étude du nu sont ses sujets favoris

Son regard est précis, le geste maîtrisé et sûr dès le premier tracé, les proportions justes, les formes construites et stylisées, les valeurs de gris, les ombres et les lumières soulignent les masses et les volumes des objets.

Suivant les techniques utilisées, la mine de plomb, le crayon à papier, l’encre de Chine, la sanguine, le stylo bille, le trait varie soit par des lignes, des traits ou des hachures soit par des aplats dégradés. Les formes se détachent du fond,  les pleins et les vides s’équilibrent, la composition se structure de façon rigoureuse.

Correspondances

Echanges avec les amis, les frères, les artistes admirés, mais aussi hommages posthumes pour un homme qui a profondément marqué son entourage.

Entretien audio

Conversation avec Emmanuel Jonquière réalisée par sa nièce Annick Ferré, historienne de l’art, à Domont en 1993.