Lettres de Maurice Silvy, architecte

Lettres de Maurice Silvy, architecte

Dans le 1er contenu de Dropbox, il y avait des lettres d’amis. Dans celles de Maurice Silvy, j’ai 2 pages à l’écriture bleu turquoise qui ne semblent pas aller avec le reste.
Si on peut recomposer une 4ème lettre, on peut la placer ici.
Sinon, pourquoi ne pas remplir cet espace avec un texte présentant Maurive Silvy ?

Poème posthume, Tanguy Paschal, jeune ami

Quand les pinceaux furent posés
Quand les voyages furent achevés
Quand la pipe eut laissé refroidir son miel
La grande maison cessa de craquer
Et la nuit enveloppa Zer

Ce n’était pas une nuit noire

C’était une nuit piquée d’étoiles
Dans les bleus ondoyants d’un ciel de Provence

Une nuit vibrante d’insectes
Et de points posés sur la lanterne de l’oeil

Elle avait ses lignes et ses plans
Creusant comme un corail
Les galeries de l’espace

Une nuit fausse
Et qui paraissait vraie
Dans ses feux d’artifice

Une nuit s‘échappant en lavis
Pleine d’effluves de térébenthine
Vers l’éther

Poème posthume son neveu Erick Jonquière

tu es celui de peu
la nuit n’a plus qu’un dos
non dit de grand chemin
ma gloriette de mots
ceux là qui vont par deux
comme un premier dimanche
et nos baisers qui poussent

regarde ici ce bleu
que tu recouvres encore
d’une écume cent fois
la toile sur la planche
qui protège du bord
ma pelote du froid

je suis celui de peu
qui garde au fond des yeux
tes voiles et tes bateaux
dans l’atelier furieux
à ce bon bout de temps
gloriette de pinceaux
ceux là qui vont par deux

comme un dernier dimanche
et nos baisers qui toussent

tu es ce cœur battu
qui assemble les arbres
une petite laine à la mèche du vent
celui d’un rien venu
mais à hauteur d’enfant
qu’on regarde debout
comme ce bois d’antan

je suis celui de peu
la nuit n’a plus qu’un dos

Mot posthume, sa nièce Mathilde Jonquière mosaïste

Oncle Zer,

Je me souviens,  lorsque j’étais petite tu m’as offert une de tes aquarelles à Domont, un bateau qui ressemblait à ceux de papa qui l’emmenait si loin lors de ses voyages.

Extrêmement  touchée, parce que je n’étais qu’une enfant, je scrutais ce bateau dans ses moindres détails, tes coups de crayons, tes touches de pinceaux à l’aquarelle, les transparences et à force de les regarder je me suis jurée qu’un jour je dessinerai comme toi.

Merci de m’avoir guidée et accompagnée dans mes études artistiques. C’est grâce à toi mon entrée à l’Académie Charpentier puis mon intégration à l’Ecole Camondo où j’ai reçu grâce à tes amis professeurs une formation artistique si ardente, si dense et si pleine qui me suit encore aujourd’hui.

Tu me citais souvent l’admiration de tes maîtres comme Vermeer, Corot, Boudin, Monet, Pissaro, Signac, Dufy, De Staël (dernière exposition que nous avons faite ensemble au Havre au Musée Malraux lors des 80 ans de papa).

Tu me décrivais leur acharnement  au travail du moindre détail, du motif, de l’ombre et de la lumière, des interstices, de la matière, de la profondeur et perspective afin de m’apprendre à extraire du  réel  la limpide beauté qui nous entoure et surtout de m’apprendre à comprendre ta peinture.

Toujours chercher, douter, reprendre, refaire et faire, travailler comme si toute création était un brouillon.

Tu m’as appris à être humble dans chacun de mes projets.

Lorsque nous venions te voir avec Serge cette dernière année, tu pensais de nouveau remarcher comme l’innocence d’ un enfant qui n’abandonne jamais pour arriver à ses fins et ta tête était toujours en marche.

Tu nous parlais de ce beau courant artistique qu’était le Bauhaus prônant la synthèse entre les Arts plastiques, l’artisanat et l’industrie qui te tenait tant à cœur dans tes différentes réalisations.

Tu n’as jamais lâché, sans aigreur ni apitoiement sur la vie, parfois ton esprit était dans un au-delà, tu méditais certainement… tu continuais à peindre dans ta tête les belles couleurs du printemps, de l’été, de l’automne et de l’hiver grâce à Honorata qui veillait sur toi, ton ange gardien et puis tu es partie sereinement car tu as vécu avec l’amour des tiens.

Merci aussi Oncle Zer pour ta joie de vivre, ta gaieté, ta liberté, ton insolence, ta légèreté, ton insouciance, ton élégance reflets de tes belles toiles que tu nous laisses et qui nous prouve que tu es toujours vivant.

Aujourd’hui chacun de mes projets en mosaïque est accompagné d’ une aquarelle qui me donne un sens et qui m’illumine de ta présence.

Mathilde Jonquière

Mot posthume, sa fille Séverine

Avant tout un grand merci à tous d’être venus, parfois de loin, rendre un dernier hommage à Emmanuel.

C’est une belle assemblée que nous avons là, et qui montre à quel point il était apprécié.

Ces deux dernières années de maladie, Emmanuel les a passé entouré de femmes, petites fées de son quotidien.
Infirmières, aides-soignantes, si dévouées,
Claudia la joyeuse, Nathalie la douce.
Toutes orchestrées par sa femme Honorine, présente jour et nuit à ses côtés.

A elles toutes un grand merci !
Surtout à toi, maman, qui nous a permis de l’accompagner ensemble jusqu’au dernier souffle, avec le petit Simon, dans sa chère maison.

Pourvu que ma voix ne s’étrangle pas sous l’émotion !

Papa ( je suis bien la seule malgré tous tes enfants spirituels à te nommer ainsi ! )
on dit que tout se joue dans la petite enfance.
Je ne suis arrivée que dans la deuxième partie de ta vie, et tu as pris ton rôle de père très au sérieux, tentant au mieux de me transmettre tes valeurs.

Tu m’as offert la richesse d’une enfance insouciante sans faire de moi une enfant gâtée.

De la proximité quotidienne avec la nature,
des découvertes aux quatre coins de la France et de l’Europe,
des rencontres, des amis,
je garde un souvenir ébloui. 

A l’adolescence, deux générations nous séparaient, et, encore peu sûre de moi, j’exerçais mon esprit de contradiction.
Les échanges étaient toniques !
Peut-être en as-tu souffert.
De mon parcours de vie atypique aussi.

Mais grâce à toi, à la force de caractère que tu m’as donné,
grâce à cette enfance heureuse et épanouie,
je suis et resterai une femme de convictions, indépendante et libre, un peu à ton image finalement.

C’est ainsi que tu vivras toujours en moi et, si je m’y prends bien, plus tard en ton petit fils Simon.

Séverine Jonquière

Souvenirs d’enfance du frère aîné, Philippe Jonquière

Pourquoi Zer ? Parce que petit si il y en avait un pour attirer les catastrophes, c’était lui !

    • Le manche du râteau dans les dents,
    • Chute et menton ouvert lors de glissade les mains dans les poches sur la mare gelée,
    • Carreau de fenêtre cassé en shootant dans le ballon dans la maison,
    • Se brûler la bouche en voulant goûter la confiture de Mélanie, etc…

Et  papa pas content punissait car on ne faisait pas attention au petit. La Misère !

En mai 1940. Bombardement d’Arras. Fuite de la famille devant l’invasion allemande. La maman ayant l’expérience de la guerre de 14 emmène toute la tribu (y compris Bonne-maman) à l’abri à Mirepoix, chez bonne- maman. On se sauve avec un dernier train en partance d’Arras. En prime, en gare d’Arras, Alerte au stuka et panique générale. Puis attente. Le train part. Non le train ne part pas ? Faut garder toute la famille ensemble. Ouf ! Le train part. Vogue la galère. Sac à dos et béret sur la tête pour tout bagage.

Pendant ce temps le papa fait son métier d’officier de l’armée du génie à Sedan (sans grand succès).
Nous sommes réfugiés à Mirepoix dans de piètres conditions et en août 1940 nous retrouvons le papa à Perpignan.
J’ai été marqué par cet épisode et je pense que Zer aussi et cela a dû influencer sa philosophie plus tard.

Souvenirs d’enfance du petit frère Bernard- Chon

Voici quelques souvenirs confus sur notre enfance avec Zer.

Nous quittons Arras en 1939, par le dernier train disponible, direction le midi, avec escale à Paris, comme de vrais réfugiés.
Dans le midi première escale à Mirepoix, pendant six mois chez notre Grand-Mère Jonquière, puis Perpignan 1940 à 1943. Papa encore militaire, nous sommes logés à la chefferie du génie.

De 1941 à1942, Zer et Kiki sont envoyés aux séminaires de Carcassonne et de Montauban, pendant la période scolaire, afin d’être nourris correctement, car à Perpignan c’était la disette.

De 1943 à 1945, c’est la remontée à Lille, square du réduit, toujours dans des bâtiments militaires en mauvais état.
Zer et moi-même sommes scolarisés chez les Jésuites à l’école libre St. Joseph de Lille.
Cette période fut mouvementée : restrictions d’occupation, bombardements, mitraillages, Papa et Jean engagés dans les FFI, libération, troupes américaines dans les bâtiments…

Au milieu de tout ce chamboulement, Zer ne tenait pas en place et voulait tout voir, et par des mots d’esprit pleins d’humour il racontait les situations ce qui détendait l’atmosphère.

De 1945 à 1948, la famille quitte Lille pour le Touquet Paris Plage. Zer et Kiki sont envoyés pour la scolarité à Amiens chez notre tante Lili. Le séjour au Touquet a été pour nous tous des vacances balnéaires, où Zer, par ses facéties, en a déridé plus d’un sur le bord de la piscine.

Puis 1948……nous quittons le Touquet pour Hesdigneul les Boulogne. Après un bref passage au collège Mariette de Boulogne, Zer part à Paris pour l’école des arts Décos…    C’est le début de son émancipation du milieu familial.

Zer même de là-haut, fais-nous encore rire, nous en avons besoin.

Nicolas Philippacopoulos, Architecte DPLG, Artiste-Peintre, Photographe

QUELQUES MOTS POUR EMMANUEL JONQUIERE 

En Octobre 1976 je faisais mes premiers pas dans mes études d’architecture (UPA 1, à Paris), tout en chargeant mon charriot pédagogique avec mes bagages artistiques ; la peinture était déjà là, Emmanuel aussi. Avec lui j’ai “soudé” l’univers architectural avec le “feeling” du peintre.

Officiellement, il enseignait Arts Plastiques. En fait il nous proposait un champ d’action dans lequel la sensibilité, la technique maîtrisée et l’approche systématique d’un projet nous permettaient de comprendre que l’Architecture (avec A) n’est pas une simple “affaire” de construction “belle” et “fonctionnelle”; elle peut devenir la maîtrise enrichie et poétique de l’espace structuré par l’homme et pour l’homme.

Emmanuel était un maître de l’aquarelle et de la gouache, sa sensibilité était omniprésente, au moindre croquis ou exercice pour ses étudiants.

Sa maison, une perle à l’”entrée” du bois voisin, avec l’atelier à côté (construits d’une grande partie par lui-même) étaient son petit-monde qui reflétait les mêmes valeurs qu’on pouvait percevoir dans son discours. J’y étais invité et passé la nuit deux fois (et visité encore d’autres, seul ou avec mon épouse), on a joué la guitare, on a bu de l’ouzo, on a rigolé en parlant d’aquarelle, du projet de mon diplôme, d’un futur tour du Péloponnèse en Grèce…

Il était pour moi plus qu’un prof, un mentor. J’utilise très souvent son travail et son discours comme modèles dans mon enseignement, la même chose pour ma propre production de peinture et même de photographie (influencée aussi par son œuvre).

Son enseignement chaleureux et sa personnalité dynamique m’escortent sans une pause, tant que je poursuis mes pas artistiques et pédagogiques…

Ghia sou Emmanuel.
Merci.

Nicolas Philippacopoulos (Fi Nikos)
Architecte DPLG (UPA 1, Paris 1983)
A
rtiste-Peintre, Photographe
Athènes le 19 Octobre 2018

Michel Vandeputte, ancien élève de l’Ecole Municipale des Beaux- Arts de Boulogne/mer

Parler de celui qui fût durant de nombreuses années l’un de mes meilleurs amis autant que mon second père depuis mon adolescence ne saurait se dire en quelques lignes.

Zer a construit mon adolescence, m’a montré des chemins et des horizons qu’aujourd’hui encore je contemple et qui m’auront aidé à bâtir ma propre existence.

J’ai tant de souvenirs en sa compagnie, tant de fous rires et d’émotions,  tant d’émerveillements et de passions. Souvent nous refaisions le monde mais nos interminables discussions n’étaient jamais stériles et nous aidaient mutuellement à avancer, à supporter l’insupportable, à combattre la médiocrité, à toucher le bonheur parfois au détour d’une lumière qu’il savait si bien me montrer pour la capturer et la coucher de ses pinceaux sur le papier.

Je n’oublierai jamais cet homme qui a tant marqué ma vie et à qui je dois tellement.

Je t’ai aimé comme un père, comme un frère, comme un ami. Tu me manques.

 

Témoignage de Jean Loup Princelle, ancien élève

Ce qui m’est arrivé …

Au cours de leur existence, certains ont la chance de rencontrer une personne, un professeur par exemple, qui par sa personnalité et son enseignement va changer, diriger leur destin d’une manière pas toujours envisagée.

J’ai eu cette chance. J’ai eu la chance de rencontrer à 16 ans celui qui va donner un sens à ma vie professionnelle.

Lycéen, vers 12 ans, après un petit succès auprès de l’Académie du Nord dans une reportage photographique sur la ville et le port de Boulogne-sur-Mer, je voulais devenir « Photographe ». Cette perspective a trouvé confirmation trois années plus tard, après le décès de mon père, car pendant les vacances, pour aider l’économie familiale, je trouvais un petit travail d’été comme « photographe de rue » sur les plages du Touquet, Stella-plage, Merlimont (plus de vingt km de sable). Une aventure qui m’a déterminé dans ce choix.

A 16 ans et quelques mois je rentrais à l’école des Beaux-Arts de Boulogne-sur-Mer, assuré de ma médiocrité en matière d’art…

C’est là que ma vie d’adolescent a basculé. Mon professeur principal, Maître Emmanuel Jonquière me demanda, quelques semaines après le rentrée : « Vous faîtes quoi ce week-end ? ». Je n’osais lui répondre que je m’adonnais à deux sports : la course à pied (demi-fond) et le « rock and roll ». Lui faisant part d’une vague indécision, il me demanda si je pouvais venir l’aider à préparer un plafond, des murs et des portes (à laquer 7 couches) dans l’appartement dans lequel il venait d’emménager. « Sympath » comme week-ends pour un danseur… Mais c’est à partir là que j’ai appris le soin, la patience, la couleur etc… pour la vie.

Cependant, le travail (de galérien) valant récompense, le mai-maître m’a emmené pendant les vacances de Noël dans la famille de son épouse à Amsterdam. La journée nous écumions les Musées (Rijksmuséum à Amsterdam, musée Frans Hals à Haarlem…), visite guidée bien sûr, avec étude de la lumière (J. Vermeer), la composition, la couleur et  le traitement des couches (Ronde de nuit de Rembrandt) etc. Le soir, mon maître me confiait à ses neveux, lesquels m’entrainaient dans les « boites » à la mode à cette époque (Paradiso, DKU etc) pour un petit supplément d’éducation…

J’en revenais la tête dans les étoiles, mieux disposé pour les futurs ponçages …
Merci Maître. Merci Zer, Trugarez brasi Emmanuel.

Jean Loup